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ouvrage collectif
Reynaldo Hahn, un éclectique en musique
« Je suis couvert de trous et de taches comme tous les gens bien » écrit, vers la fin de sa vie, Reynaldo Hahn (1874-1947) à la fille de son frère Carlos. Les 11 et 12 mai 1911, un colloque organisé par le Centre de musique romantique française, sous la direction de Philippe Blay, cherchait à mieux connaître le musicien trop souvent réduit à un troubadour de la Belle Époque, au charme suranné, pourtant résolument éclectique de par sa personnalité (homme de convictions cultivé, mordant, mélancolique) et son implication artistique (compositeur, chanteur, accompagnateur, chef d’orchestre, critique, conférencier et même directeur d’un Opéra en crise, quelques mois seulement avant le diagnostic d’une tumeur au cerveau qui lui serait fatal). La quinzaine de chapitres réunis ici en rend compte.
Naturalisé français en 1907, Reynaldo naît au Venezuela où son père, juif hambourgeois converti par amour, est parti faire des affaires et se marier, avant de s’installer à Paris. L’enfant chante dans certains salons en s’accompagnant au piano, si bien qu’il n’a pas seize ans quand sont éditées ses premières mélodies. En octobre 1885, il entre au conservatoire mais apprend aussi beaucoup de Massenet, dont il devient l’élève particulier (1888). Son carnet d’adresses s’enrichit ainsi que le catalogue de ses œuvres. En effet, curieux et travailleur, celui qui n’aspire qu’à « construire de la beauté » aborde des genres variés : musique de scène (L’obstacle, 1890), pantomime dramatique (Fin d’amour, 1892), poème symphonique (Nuit d’amour bergamasque, 1897), idylle polynésienne (L’île du rêve, 1898), comédie musicale (La carmélite, 1902), suite instrumentale (Le bal de Béatrice d’Este, 1905), mystère (Pastorale de Noël, 1906), ballet-pantomime (La fête chez Thérèse, 1910), etc. Fondées sur une œuvre emblématique passée à la loupe, plusieurs pages s’intéressent aux domaines plus attendus de l’opéra (Le marchand de Venise, 1935), l’opérette (Ciboulette, 1923), le ballet (Le Dieu bleu, 1912), l’oratorio (Prométhée triomphant, 1908) et la musique de chambre (Le rossignol éperdu, recueil pianistique de cinquante-trois « poèmes » musicaux édité en 1913).
D’autres passages détaillent une activité de critique étendue sur toute une carrière – de La Semaine musicale (1899) au Figaro (1945) – ou encore les désaccords esthétique avec un célèbre amant de jeunesse (« l’important pour Hahn est ce qu’on a senti – pour Proust ce qu’on a pensé »), qui témoignent de nombreuses affinités (Mozart, Wagner, Gounod) et répulsions (baroque, vérisme), mais aussi d’un sens de la nuance qui lui fait rejeter l’œuvre plutôt que son géniteur. Éclairant lui aussi, le chapitre sur la Grande Guerre peint l’engagement exemplaire du Français d’adoption – « Je n’ai demandé nulle faveur, je recherche toutes les occasions de me rendre utile. J’ai la conscience tranquille ».
« Prodigieusement doué, Hahn n’est qu’un amateur, écrit sans retenue Marguerite de Saint-Marceaux. Il le sent et c’est bien pour cela qu’il ne s’adresse qu’aux gens du monde. » Les différents intervenants du colloque vénitien offrent de dépasser le malentendu qui entoure encore le style et la personnalité de Reynaldo Hahn. Derrière une musique en apparence lisse et confortable, on peut au contraire discerner un art subtil « dont la délicatesse masque une fermeté de dessin et d’intention aux antipodes de la figure du petit maître que la légende a forgée à tort ».
LB